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Le rêve : la théorie qui résout tout !

 

Et si… et si tout ce à quoi rêvent les théoriciens des cordes était vrai ? Une nouvelle fois, après Newton et Einstein, la face du monde en serait changée. Comme le démontre ce cours imaginaire de cosmologie, dispensé à l’université en 2047 !

 

 dimensions petites

 

 

 

Bonjour et bienvenue à tous  en cette rentrée universitaire 2047. Comme votre emploi du temps vous l’a déjà appris, mon cours traitera de cosmologie. Et pour commencer sans plus attendre, j’aborderai aujourd’hui la révolution conceptuelle qu’a vécu le début du XXIe siècle : la théorie des cordes !

 

Il y a plus de soixante ans, les physiciens considéraient encore les particules comme des objets ponctuels. Cependant, ils avaient déjà quelques soupçons sur le fait qu’elles pourraient êtres des objets à une dimension telle des cordes. Ces soupçons ont été confirmés un beau jour de 2010, lorsque les particules supersymétriques prédites par la théorie des cordes furent enfin découvertes au Cern. Comment ? Grâce à cette théorie, nous savons aujourd’hui que notre Univers à trois dimensions d’espace est une brane (un raccourci pour membrane), immergée dans un Univers avec plus de trois dimensions spatiales appelé le bulk.

 

Tout ce passe comme si nous habitions sur une feuille de papier immergée dans une pièce que nous ne pourrions percevoir, mise à part la gravitation des objets qui s’y trouvent. En effet, la matière et les interactions électromagnétique, forte et faible ne peuvent pas sortir de la brane mais la gravitation est libre de circuler dans le bulk. Grâce à cette propriété, il est possible de créer des mini-trous noirs à l’aide d’énergies de l’ordre du téraélectronvolt, soit mille milliards d’électronvolts. De telles énergies ont été atteintes dans des collisions de particules réalisées dans le Large Hadron Collider du Cern. En 2009, les physiciens ont ainsi produit leurs premiers mini-trous noirs, preuve expérimentale de l’existence de dimensions supplémentaires où s’échappe la gravité. Mais il y a eu mieux encore ! Les mini-trous noirs sont particulièrement instables : ils se désintègrent rapidement libérant des particules en tout genre. Parmi elles, des particules supersymétriques que ne manqua pas de repérer le détecteur Atlas du LHC, actuellement en exposition sur le parvis de la Défense. Ainsi, cette expérience historique confirma non seulement l’existence d’un bulk et de ces dimensions d’espace supplémentaires, mais aussi la supersymétrie. Elle imposa la théorie des cordes en tant que nouvelle description de la nature.

 

 

 

 400px-Universe Expansion Timeline (fr)               bang

 

 

 

Cette révolution de la physique des particules se propagea immédiatement à la cosmologie, en commençant par la matière noire. Celle-ci perturbe le mouvement des astres (étoiles, galaxies…) différemment à ce que la seule matière visible ferait. Ce sont donc ses effets gravitationnels qui trahissent sa présence. Or, peu de temps après le LHC, l’expérience spatiale Pamela (Payload for Antimatter Exploration and Light-nuclei Astrophysics) ne tarda pas à détecter de manière indirecte la trace d’une particule supersymétrique nommée neutralino et répondant tout à fait à la définition de la matière noire. Le principal investigateur de cette expérience fut le Pr Piergiorgio Picozza qui m’expliqua, il y a plus de quarante ans, tous les secrets du neutralino. Ce dernier est sa propre antiparticule : quand deux neutralinos se rencontrent, ils s’annihilent. De tels événements aboutissent à la création de paires proton-antiproton et électron-positon. La contribution de cette nouvelle source d’antimatière vient s’ajouter au flot habituellement émis par les processus astrophysiques traditionnels. Pamela fut la première expérience à distinguer ces flots supplémentaires d’antiprotons et de positons. Elle prouva ainsi l’existence et le rôle du neutralino en tant que matière noire.

 

Mais le bouleversement le plus radical de la théorie des cordes est sans nul doute lié à notre vision du big bang. Faute de mieux, les cosmologistes ont pendant longtemps conceptualisé le big bang comme un point de densité et de température infinies à partir duquel aurait commencé l’expansion de l’Univers. En réalité, ces infinis dessinent une frontière au-delà de laquelle toute description physique cesse d’être valable. Cette vision change radicalement avec l’existence des branes et, aujourd’hui, deux points de vue s’affrontent.

 

 

 

 Modèle d'Univers-v9

 

 

Le premier, celui de l’Univers cyclique, repose sur des collisions de branes. Paul Steinhardt (université de Princeton, Etats-Unis) et Neil Turok (université de Cambridge, Angleterre) sont à l’origine de cette idée qui pourrait aussi expliquer l’énergie sombre. En quelques mots, notre brane n’est probablement pas la seule dans le bulk. L’idée d’un Univers cyclique repose sur le fait qu’environ tous les mille milliards d’années, elle s’approche d’une autre brane. Toutes deux entrent en collision, créant du même coup la matière et le rayonnement de notre Univers : c’est le big bang. Puis ces branes s’écartent, avant de recommencer à se rapprocher pour un nouveau big bang, un nouveau cycle. Cette idée explique de nombreuses propriétés de notre Univers, mais pour mieux la comprendre, reprenons depuis le début. Imaginons deux branes (dont la nôtre) avec trois dimensions d’espace, plates et quasiment vides de matière. Elles sont toutes les deux dans le bulk, séparées par une distance courant le long d’une quatrième dimension spatiale. On pourrait les comparer à deux nappes immaculées et parfaitement repassées, suspendues dans une pièce. L’espace entre les deux branes se contracte entraînant leur rapprochement puis leur collision. Au moment où cette collision se produit, l’énergie due à la vitesse des branes est convertie en matière (électrons, protons, etc.) et en rayonnement (photons) qui remplissent les branes.

 



Modèle d'Univers-v10                t2yh52a3

 

 

 

Ce scénario explique donc l’origine de la matière mais supprime également les infinis de l’ancien scénario du big bang. Ici, l’Univers ne naît plus à partir d’un point mais d’une brane et les densités de matière et d’énergie sont finies. De plus, comme la collision a lieu à peu près en même temps sur toute notre brane, elle produit un Univers homogène avec à peu près la même température en chaque endroit. C’est comme si vous plaquiez une feuille de papier couverte de peinture rouge sur une autre feuille couverte de peinture jaune. Si vous collez les deux feuilles l’une sur l’autre partout du premier coup, lorsque vous les séparez juste après, elles sont uniformément orange. Sinon, elles sont tachetées de couleurs.

 

Les branes réussissent le tour de force de se plaquer l’une contre l’autre de manière à ce que la matière et le rayonnement apparaissent quasiment partout et uniformément dans l’Univers (comme la couleur orange dans notre exemple). Ceci explique pourquoi la température du rayonnement de fond cosmologique, cette première lumière à s’être librement propagée 380 000 ans après le big bang, est en moyenne de 2,73 K dans toutes les directions de l’espace. A la suite de cette collision, les branes se séparent et l’Univers, désormais pourvu de matière, commence son évolution. Tout se passe alors comme si les branes étaient reliées par un ressort qui tend à les faire revenir l’une vers l’autre pour une nouvelle collision. Au fur et à mesure qu’elles s’écartent, le ressort se tend et emmagasine de plus en plus d’énergie. Lorsque les branes sont loin l’une de l’autre, cette énergie accélère l’expansion de l’Univers et explique ainsi ce que l’on appelle l’énergie sombre. Cette accélération aplatit l’Univers, telle une nappe que l’on tend. Elle dilue également sa matière et son rayonnement puisqu’ils se trouvent dans un espace grandissant de plus en plus vite. Dans un futur éloigné, lorsque les branes se seront à nouveau rapprochées, elles seront plates et quasiment vides, prêtes pour une nouvelle collision, un nouveau big bang, qui donnera naissance à un nouvel Univers plat et homogène. Comme me le confiait en 2006 P.J. Steinhardt : « Si nous avions eu l’idée de ce scénario plus tôt, nous aurions pu prédire l’énergie sombre ».

 

 

 

 300px-Cosmologie branaire                BigBounce

 

 

 

Cependant, ce scénario n’a pas encore été prouvé et un autre lui fait concurrence : le scénario du pré-big bang défendu par le Pr Maurizio Gasperini, du Cern, au début de ce siècle. Ce scénario repose lui aussi sur la théorie des cordes, et plus précisément sur l’une de ses propriétés : la dualité T. Rassurez-vous, rien de très compliqué. Supposons que vous rouliez deux feuilles de papier pour en faire deux cylindres, l’un de rayon R1 et l’autre R2. Il est toujours possible de déformer l’un des cylindres pour qu’il ait le même rayon que l’autre. Avec les cordes, c’est pareil. On peut imaginer une théorie des cordes avec une dimension d’espace enroulée autour d’un cercle de rayon R1 et une autre décrivant la même physique et pour laquelle elle est cette fois enroulée autour d’un cercle de rayon R2. Il existe là aussi une transformation (en mathématiques, une symétrie) permettant de relier ces deux théories des cordes : c’est la dualité T. Du coup, il est également possible d’utiliser le même genre de propriétés pour relier un Univers en expansion comme le nôtre à un Univers en contraction existant auparavant. Celui-ci aurait été plat, froid, très grand mais surtout instable. C’est grâce à cette dernière propriété qu’il se serait contracté jusqu’à une taille minuscule mais finie. Il aurait alors commencé à s’échauffer, produisant de la matière et du rayonnement, pour entrer dans une phase d’expansion : le big bang, qui donnera naissance à l’Univers que nous connaissons. Comme me l’avait précisé Maurizio Gasperini, cette contraction amène l’Univers dans un état où sa courbure, la densité et la température de sa matière sont finies et déterminées par la théorie des cordes, évitant ainsi les problèmes d’infini du big bang, tout comme l’Univers cyclique.

 

Comment les observations pourraient-elles permettre de distinguer entre un Univers cyclique et un pré-big bang ? Grâce aux ondes gravitationnelles. Ces ondes sont des vibrations de l’espace et du temps. Lorsqu’une onde gravitationnelle se propage, les longueurs et le temps se dilatent et se contractent périodiquement. Ces ondes sont engendrées par des objets massifs subissant d’intenses accélérations (comme deux trous noirs en train de fusionner), mais aussi lors des premiers instants de l’Univers, quand la géométrie de l’espace-temps subissait de fortes déformations, par exemple, pendant la contraction que prévoit le pré-big bang ou la collision de branes envisagée par l’Univers cyclique.

 

 

 

 610-00300-05HIGH               DarkMatter clumps

 

 

En fait, l’empreinte dans l’espace-temps des ondes générées par la première théorie devrait être cent millions de fois plus importante que ce qui est prévu par le scénario cyclique. Au début du siècle, des projets comme Virgo ont tenté de les détecter. Dans cette expérience, il s’agissait de faire circuler deux rayons laser le long de deux bras de 3 km de long puis de comparer les chemins parcourus pour percevoir une variation de la distance, induite par le passage d’une onde gravitationnelle. Des ondes dues à des objets astrophysiques ont bien été perçues et actuellement des progrès sont réalisés en vue de la détection de telles ondes d’origine cosmologique. La recherche de ces ondes continue aujourd’hui avec des observatoires spatiaux.

 

Autre possibilité, les inhomogénéités du rayonnement de fond cosmologique. En effet, la température de ce rayonnement n’est pas exactement de 2,73 K partout. Elle fluctue autour de cette valeur. Dans le scénario de pré-big bang, ces fluctuations sont dues à des particules appelées axions, produites pendant la transition. Dans le scénario cyclique, elles proviennent du fait que les branes ne sont pas entrées en collision absolument partout, pile au même instant. Il est possible que ces différences entre ces deux mécanismes soient détectables par des expériences du même type que Planck, lancée à la fin des années 2000.

 

Voilà, le cours est fini. La semaine prochaine, nous parlerons du programme d’écoute de signaux extraterrestres Geti (Gravitationnal Extraterrestrial Intelligence) visant à détecter un message envoyé sous forme d’ondes gravitationnelles depuis une autre brane.

 

 

601-00100-05high

 

 

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