Les Pères de l’Eglise, suivis par les historiens anciens et modernes, ont toujours nié l’existence d’un enseignement ésotérique pratiqué par Jésus et perpétué par ses disciples, notamment par Jean. En 1945, des paysans déterrèrent une cinquantaine de traités religieux et philosophiques, rassemblés en 13 codices, cachés il y a 1.600 ans dans une jarre, non loin de Nag Hammadi, un village de Haute Egypte.
Cette superbe collection de papyrus et de parchemins révéla des Evangiles et des écrits philosophiques d’origine gnostique écrits en copte, langue parlée par les Chrétiens égyptiens. Ces traités, probablement des copies d’originaux rédigés en grec, dataient des IIème, IIIème et IVème siècles. Citons entre autres : Le Livre secret de Jean, l’Evangile de Judas, de Thomas et de Philippe, l’Hypostase des Archontes, l’Evangile des Egyptiens… Cette découverte fit l’effet d’une bombe tant dans les milieux historiques que théologiques car ces écrits attestaient d’une instruction parallèle de nature ésotérique enseignée par Jésus. Parmi ce corpus de 1.200 pages, actuellement conservé au Musée copte du Caire, un texte défraya particulièrement la chronique, « L’Evangile selon Thomas », originellement titré « Paroles cachées de Jésus écrites par Thomas ». Jésus y révélait entre autre : « Fendez du bois, et je suis là ; soulevez une pierre, et c’est là que vous me trouverez. » Cette phrase à elle seule discréditait l’ensemble de l’institution ecclésiastique car si l’homme pouvait découvrir le Christ sous une pierre ou un morceau de bois, à quoi servaient l’Eglise, le clergé, les temples ? On comprend dès lors pourquoi les textes gnostiques qui proposaient des interprétations et des rituels chrétiens différents de ceux officialisés en 325 furent condamnés par l’Eglise, pourchassés et brûlés. Les communautés dissidentes qualifiées d’hérétiques, soucieuses de préserver leur inestimable héritage décidèrent de le rassembler et de le cacher à Nag Hammadi.
Ces textes sont très précieux car ils n’ont pas subi les manipulations, les jeux d’écriture, les ré-interprétations et les censures religieuses qu’endurèrent l’Ancien et le Nouveau Testament. De nature ésotérique, ils évoquent un Christ bien différent de celui des Evangiles. Jésus n’est pas venu sauver les hommes de leurs péchés mais les conduire sur le chemin de l’illumination, c’est-à-dire leur révéler la Connaissance qui les affranchira. Plus besoin d’Eglise ni de prêtres. Chacun peut devenir l’instrument de sa propre délivrance. Il n’est jamais question de repentance ni de confession mais d’un cheminement intérieur à travers lequel chaque être humain peut prétendre à l’éveil libérateur.
Outre des dialogues fort dérangeants faisant état d’une relation amoureuse entre le Christ et Marie-Madeleine, d’autres paroles, rapportées dans les Evangiles de Philippe et ceux de Thomas constituent une vive critique des croyances chrétiennes relatives à l’Immaculée Conception et à la Résurrection des corps. Les Gnostiques affirmaient détenir le secret des anciennes initiations. Ils disaient être en possession des révélations d’une tradition invariable dont Jésus était le dépositaire et qu’il révéla à ses apôtres. Le sens de son enseignement fut transmis dans les Ecritures sous une forme voilée à travers l’Evangile et « L’Apocalypse de Jean ». Le texte gnostique connu sous le nom de Christ « Pistis Sophia » souligne d’ailleurs qu’après sa résurrection, le Christ aurait passé onze années à enseigner ce haut savoir à ses disciples. Le mot « gnose » est la francisation du grec « gnosis » signifiant « connaissance », le gnosticisme étant l’ensemble des sectes et des penseurs qui prétendirent détenir le vrai savoir. Le gnosticisme est né de l’angoisse des hommes vis à vis du problème du mal, car derrière le voile des apparences se dissimulait une divinité trouble et imparfaite, source de multiples interrogations.
Selon les Ecritures, un Dieu unique, Yahvé était notre seul Créateur. Aucune autre entité équivalente n’était mentionnée à ses côtés. L’insistance sur la souveraineté absolue de cette divinité aboutissait inévitablement à inscrire l’origine du mal dans sa propre volonté, car même s’il a avait eu rébellion de ses légions suivie d’une chute, les démons restaient soumis à sa seule volonté. Les Gnostiques en déduisirent logiquement qu’il devait exister deux géniteurs : un bon, suprême, ineffable et par conséquent inaccessible qui n’interférait jamais sur le plan matériel, et un mauvais qui avait créé notre monde et le gérait à sa guise… Dans les différents systèmes gnostiques, on retrouve toujours l’idée d’une opposition entre le bien et le mal, d’une dualité dans laquelle l’homme a été plongé par une espèce de déchéance. La gnose est la connaissance d’un salut conduisant l’homme vers Dieu, fondée sur le dualisme « bien-mal ».
La gnose mettait en exergue le fait que la Création était mauvaise, ratée, qu’elle ne relevait pas du Dieu suprême mais d’une divinité mauvaise. Dieu n’aurait jamais pu créer quelque chose de mauvais. Donc, la création était le fruit d’une divinité, ou d’un être négatif, voire d’un accident, ce qui impliquerait le rejet du Dieu créateur Yahvé de « l’Ancien Testament », considéré comme le mal et assimilé à Satan. En aucun cas, Yahvé ne pouvait être le père du Christ comme l’affirma d’ailleurs Marcion (vers 180) qui fut poursuivi pour hérésie par l’Eglise. Cette création ratée a pour autre conséquence que la matière, la chair, le corps étaient aussi mauvais. Il ne pouvait y avoir de résurrection, parce que ce phénomène continuait à enfermer l’âme dans un corps. De nombreux systèmes gnostiques évoquaient le bien-fondé de la réincarnation pouvant être la conséquence d’une punition ou d’une chute. L’idée majeure du gnosticisme se trouvait dans la libération de l’homme par rapport au monde mauvais lui permettant de monter vers le Dieu bon.
Les textes gnostiques, au même titre que certains écrits de « Qumram », relataient une toute autre version de la création de l’Univers et de la genèse de l’homme. Leur interprétation rejoignait sur bien des points des textes émanant d’autres traditions occultes et religieuses. Comme nous l’avons dit plus haut, notre monde était imparfait parce qu’une puissance appartenant aux mondes célestes (démiurge, éon, ange, archonte) en avait perverti l’équilibre par erreur, orgueil ou inconséquence. Elle était intervenue dans la bonne marche de l’univers et y avait provoqué des perturbations, entraînant la création d’un monde chaotique non souhaité. Contrairement à l’Eglise qui considérait que l’origine du mal provenait d’une faute originelle commise par le premier couple d’humains, les gnostiques évoquaient une erreur de la divinité qui avait été à la base de notre création. Ils refusaient la vision de l’homme souillé par une culpabilité existentielle. L’homme était une création manquée, une sorte de contrefaçon maladroite, soumise à l’autorité d’un mauvais démiurge qui en avait fait un esclave perdu dans un monde de violence, de perversité et de cruauté qui n’aurait jamais dû voir le jour.
Envoyé par le Dieu « bon », le Christ, était venu mettre en garde l’humanité contre la présence dans notre monde d’une ou de plusieurs entités maléfiques que les Evangiles gnostiques désignaient sous le nom d’Archontes. Notre véritable combat n’était pas, comme le révélait Saint Paul dans son « Epître aux Ephésiens », VI, 12 : « … contre la chair et le sang que nous luttons, mais contre les principats, contres les autorités, contre les pouvoirs de ce monde de ténèbres, contre les puissance spirituelles mauvaises qui sont dans les lieux célestes ». En d’autres termes, le vrai challenge de l’homme n’était pas de se concentrer sur une lutte contre le péché originel et les attraits de la chair, mais de se défendre contre les puissances maléfiques qui la dirigeaient dans l’ombre et qui avaient pris possession de la terre. La gnose portait aussi un message élitiste. Les gnostiques se disaient initiés à des choses que les autres ne savaient pas. C’est cet élitisme qui fit que la vraie connaissance restait secrète et faisait l’objet d’une initiation. L’humanité se divisait en trois catégories : ceux qui étaient d’emblée dans la bonne connaissance ou pneumatiques, ceux qui étaient « récupérables » ou les psychiques, et ceux qui étaient totalement englobés par la matière et donc « irrécupérables », les terrestres.
La gnose se caractérisait aussi par le syncrétisme car elle récupéra des éléments de différentes croyances : dualisme persan, textes de Platon, évangiles apocryphes… Enfin, notons qu’elle accordait une grande importance à l’élément féminin de Dieu, au thème de la Mère universelle. Cette « Mère » était décrite de manière très contradictoire, pouvant être un instrument de condamnation, de jugement, mais aussi une matrice enfermant la création. Dérivant de cela, la place de la sexualité dans la gnose était aussi contradictoire. Des mouvements très ascétiques refusaient le mariage et la sexualité considérée comme une porte ouverte à la procréation qui de nouveau faisait retomber l’âme dans la chair. D’autres courants prônaient une sexualité débridée, par mépris envers la dite chair.
Il y eu de nombreuses sectes gnostiques professant des enseignements et des principes qui dans leur ensemble se rejoignaient mais qui présentaient entre eux certaines divergences de vue. Ce dossier se veut une synthèse de la philosophie générale des gnostiques. La gnose reconnaît l’existence d’une déité suprême, transcendante et androgyne qu’elle appelle indifféremment le Dieu non manifesté, la monade, l’Esprit invisible, l’Absolu, le Silence, l’Abîme, l’Eon éternel parfait, l’innomé, l’ineffable, le jamais créé, l’Amour pur, le Dieu étranger, le Dieu lointain, le Dieu inconnu. Selon la gnose, le Dieu ne s’était encore jamais manifesté dans notre monde matériel. Il peut être mis en parallèle avec le Dieu El des Cananéens. De lui émanent un Principe illuminateur mâle, le grand père céleste, et le Principe illuminateur femelle, la grand-mère céleste, la matrice universelle, nommée Barbelo, Epinoia, Sophia, Ennoia ou encore Pistis. La gnose place le Dieu suprême au sommet d’un univers divin appelé « Plérôme » ou « lieu de la Plénitude », constitué par des éons ou puissances célestes hiérarchisées qui entretiennent entre eux des rapports très complexes. Le Christ ou Logos est le seul être ayant été engendré par le Père et la Mère. A l’origine, le monde visible fut créé à la ressemblance du monde invisible et caché.
A côté de cet univers divin, complètement séparé de lui, il y a le monde d’en bas, celui des ténèbres. Il a été créé par un mauvais ange qui l’a formé à partir d’une matière préexistante, mais qui ne l’a pas fait correctement, vu qu’il était ignorant du divin, bien qu’il en fut une émanation « bâtarde ». Déité directement reliée à la perfection, Sophia, aurait normalement toujours dû agir de concert avec sa contrepartie masculine à laquelle elle était attachée mais tel ne fut pas le cas. Sophia qui désirait comprendre plus profondément l’Eternel commit une erreur fatale et irréparable. Tentant d’imiter le pouvoir créateur du Dieu ineffable, elle se sépara de son principe masculin et tomba du Plérôme ou Royaume céleste. Elle fut précipitée dans le monde des abysses, un monde de néant et d’absence de lumière. Grâce à sa propre puissance, elle enfanta par inadvertance un monstre à visage de lion et au corps de serpent, une chose imparfaite et disgracieuse, étant donné qu’elle l’avait engendré sans sa polarité masculine et sans l’avis du Dieu ineffable. Les yeux de ce monstre étaient pareils à des éclairs lançant des flammes. Sophia le repoussa loin d’elle et le plaça sur un trône entouré d’une nuée, afin que personne ne puisse le voir, hormis le « Père des vivants » auquel elle ne pouvait rien cacher. Elle venait de donner naissance à une créature saurienne, un être d’orgueil, malicieux et vil, androgyne lui aussi, qualifié de « Dieu des aveugles » et appelé indifféremment, Sabaoth, Samaël, Saclas (l’idiot), Ialdabaoth.
Les gnostiques l’identifièrent à Yahvé / Satan. Cet archonte maléfique n’est ni plus ni moins que le « demi-frère » du Christ ! Une fois engendré, Satan/Yahvé aperçut devant lui un univers immense à conquérir. Poussé par sa vanité et son arrogance, il déclara qu’il n’y avait pas d’autres dieux qui lui. L’Archonte orgueilleux mais très puissant se bâtit un monde d’une grandeur sans limite (notre univers) puis décida de susciter de lui des enfants. Il créa sept créatures androgynes et leur dit : « Je suis le Dieu du Tout ! ». La folie qui animait le grand Archonte maléfique lui fit aussi déclarer : « Je suis un Dieu jaloux ». Il engendra une multitude de démons, pour le servir, qui peuplèrent désormais les mondes de la matière d’où ils étaient issus. Lorsque le vrai Dieu, « l’incorruptible » abaissa son regard vers la région des eaux « ne vue d’unir, le Tout à la Lumière », son image se refléta et les puissances des ténèbres s’en éprirent. Les faux démiurges androgynes réussirent, on ne sait trop comment, à capter cette image parfaite située de « l’autre côté du voile » et décidèrent de créer un homme. Les Archontes se dirent alors : « Faisons un homme qui soit de la poussière de la terre ». Ayant pris de la terre, ils modelèrent un homme d’après leur propre corps (avorton animal), à la ressemblance de l’image du Dieu qui leur était apparue dans les eaux. Toutefois, étant donné une « imprécision de fabrication », leur créature ne pouvait pas se tenir debout. Dans leur maladresse, ils avaient créé une créature hybride mi-humaine, mi amphibienne, mi reptilienne, annonçant le règne des premiers animaux sur terre. Alors, Dieu eut pitié d’elle et souffla dans son visage. « L’Esprit (de Dieu) aperçut sur le sol l’homme pourvu d’une âme. Il descendit et vint en lui, et l’homme devint une âme vivante. Il lui donna le nom d’Adam parce qu’il l’avait trouvé rampant sur la terre. » Aussitôt, l’homme se mit debout et parla.
Bien qu’issu d’une sorte de création « génétique » des Archontes, l’homme était différent de ses créateurs car l’étincelle de vie et d’intelligence divine lui avait été donnée par le « vrai » Dieu. Les Archontes placèrent Adam dans le Jardin d’Eden « pour qu’il le cultive », en lui interdisant de manger à l’arbre de la connaissance du bien et du mal, lui prédisant la mort s’il essayait. Quelques temps après, ils se concertèrent et décidèrent de faire tomber Adam dans un profond sommeil (assimilé à l’ignorance), pendant qu’ils tranchaient dans son côté et qu’ils faisaient apparaître une femme. Puis, ils reconstituèrent le côté « en mettant de la chair à la place », un acte qui s’apparente à une véritable « opération chirurgicale ». Quand les Archontes virent la contrepartie féminine d’Adam, « un grand émoi les saisit et ils la désirèrent. Ils dirent l’un à l’autre : Allons ! Jetons en elle notre semence et ils la poursuivirent. (…) Ils provoquèrent eux-mêmes leur propre condamnation. »
Tentant de réparer sa faute, le principe féminin de Dieu, Sophia, s’introduisit dans le « Serpent instructeur » et dit à la première femme : « Vous ne périrez pas de mort (si vous touchez au fruit de l’arbre). C’est par jalousie qu’on vous a dit cela. Au contraire, vos yeux s’ouvriront et vous deviendrez comme les dieux, distinguant le bien et le mal ». La femme mangea le fruit défendu puis en donna à son mari. S’apercevant de leur désobéissance, Satan/Yahvé maudit la femme et le serpent, chassa le couple hors du verger et le tourmenta « par de grandes tribulations et une vie pleine de soucis, afin que l’humanité soit accaparée par la vie matérielle et n’ait pas la possibilité de se consacrer à l’Esprit saint. »