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22 mars 2010 1 22 /03 /mars /2010 20:18

III – Les apôtres de l’Apocalypse

 

Nouveaux mouvements religieux et sectes se sont emparés de l’Apocalypse de Jean pour en faire, au fil des siècles, le Livre de la Fin des Temps. La Révélation a cédé la place aux promesses de cataclysmes. Aujourd’hui encore, beaucoup attendent le Jugement Dernier et se préparent à des jours meilleurs, sur Terre ou ailleurs. Qui sont ceux qui se croient élus ?

 


Ordre du Temple solaire-v2 

 

 

C’est presque un village fantôme. Couvert d’un  fin manteau neigeux, le hameau de Sus-Navarrenx, dans les Pyrénées-Atlantiques, semble endormi, caché sous la brume épaisse. En cette veille de réveillon, les quelques villageois préparent les fêtes de Noël. De l’autre côté de la place, un château résonne de rires d’enfants : les membres de Tabitha’s Place, eux, débutent le shabbat… Les hommes rangent les tracteurs, les femmes s’affairent aux cuisines, tandis que les gamins, une soixantaine, se ruent vers le chalet où vont se dérouler les prières et le dîner. Ambiance colonie de vacances. On les appelle communément les « 12 tribus », ou les « hippies » car cette tribu patchwork, composé de plus de 30 nationalités, a choisi de vivre simplement, en harmonie avec la nature, la Bible, loin des tentations de la ville. A priori, rien de suspect.

 

Quelques images étonnent, tel ce mince bandeau bleu pastel qui barre le front des hommes : « Il s’agit d’un diadème, qui servira à supporter la couronne du Seigneur lorsqu’il sera de retour sur Terre », explique Yadone, un solide gaillard de 60 ans. La marque des élus, ceux qui échappent aux flammes de l’enfer « parce qu’ils auront préparé le retour du Messie et combattu Satan ». Chacun est libre de le porter, s’empresse d’ajouter cet ancien Parisien qui n’a pas quitté la communauté depuis son arrivée, il y a seize ans.

 

A la « Ferme », les adeptes mènent une vie stricte, basée sur les préceptes de la Bible, rythmée par deux offices quotidiens. Chacun a troqué son état civil pour un prénom hébreux – Yadone signifie reconstructeur de Jérusalem – et préfère dire Jahschua plutôt que Jésus. Comme des premiers chrétiens. Tabitha’s Place s’inscrit dans la mouvance des adventistes du septième jour, apparus aux Etats-Unis au XIXe siècle et croyant au retour du Christ. Elle professe une lecture approfondie de la Bible, des prophéties en particulier, et a choisi le shabbat, septième jour de la semaine, comme jour de culte.

 

En attendant le jour dernier, Yadone et ses compagnons combattent Satan, « présent en chacun de nous ; c’est la part de cupidité et d’égoïsme qui régissent ce monde », dénonce le patriarche qui alimente le feu de la cheminée en sirotant son maté. « Nous croyons en l’Apocalypse, qu’il y aura un jugement dernier, où ceux qui ont fait le bien seront récompensés. » Tour de Babel trouée de lignes ferroviaires, foule poussant la Terre dans un précipice… Leur site Internet l’illustre sans détour. Comme l’a prédit le prophète Isaïe, il y a 2700 ans, la Terre court à sa perte. Coup d’œil vers la cheminée, les flammes n’ont pas faibli ; satisfait, Yadone semble chercher sa chute, conclut sur une pirouette : « La fin du monde va bien arriver un jour, n’est-ce pas ? »

 

Le boom et le flop de l’an 2000

 

Depuis vingt ans, la nébuleuse eschatologique, doctrine de la fin des temps, ne cesse de grossir : mouvances religieuses « reconnues » comme les mormons, certains groupes chrétiens fondamentalistes, telles les églises évangéliques et pentecôtistes, mais aussi sectes apocalyptiques, millénaristes, sans oublier les tenants du New Age… Ils ont tous tiré du dernier Livre de la Bible leur propre testament. Nombre d’entre eux ont surfé sur le changement de millénaire. Et si la fin du monde n’a pas eu lieu, ce n’est qu’un simple problème de timing. « C’est le fameux paradoxe de Festinge : une secte prédit qu’il va neiger pendant huit jours, mais cela dure finalement deux semaines, donc le gourou dit à ses adeptes que leurs prières ne marchent pas parce qu’ils n’y ont pas mis assez de ferveur », schématise Jean-Marie Abgrall, psychiatre, criminologue spécialiste des sectes. Les apprentis prophètes repartent alors de plus belle, avec de nouvelles prophéties, de nouvelles dates et surtout le désir de mieux faire…

 

Selon la Milivudes et l’Adfi, il existerait aujourd’hui une trentaine de sectes eschatologiques en France. Le chiffre serait bien plus important, nombre de groupes adoucissant leurs discours en public. Selon Jean-Marie Abgrall, l’un des dangers pourrait venir de la « mouvance évangéliste et adventiste, des microgroupes charismatiques d’inspiration protestante, mais aussi catholique. Proches des grandes religions traditionnelles, ces mouvements se perçoivent moins comme sectes et sont d’une certaine façon « reconnus » par les Eglises mères ». Une perception d’autant plus difficile que la tendance est plutôt à l’éclosion de « petits groupes farfelus qui représentent un réel danger, plutôt que des grands mouvements structurés ».


 

 

Ordre du Temple solaire-v1 

 

 

Par contre, lorsqu’il s’agit de prédire la fin du monde, la retenue n’est plus de mise : conflits nucléaires, chimiques ou bactériologiques, troisième guerre mondiale, tremblements de terre, déluges, épidémies en tout genre… Nostradamus est dépassé ! La secte Garum et Khnoum innove en prédisant un big bang en 2006, l’Eglise du Salut de Dieu opte pour le départ des élus en vaisseau spatial avec le Dieu-Apocalypse. Dans ce catalogue des catastrophes, la climatologie représente la grande tendance post 2000 : les adeptes de l’Energie Universelle (HUE) attendent toujours « l’inversion des énergies, provoquant la fonte des banquises et les chaleurs excessives »… Enfin, certains sectes, comme le Petit Caillou, proposent un terrifiant package : collision entre la comète Hale Bop et le Soleil, éruptions volcaniques, tremblements de terre, départ du pape de Rome ( ?), troisième guerre mondiale… La totale !

 

Quelle que soit la forme du cataclysme attendu, le scénario biblique est ensuite bien connu : « Cette période d’épouvante et de désespoir, dénommée Grande Tribulation, annonce la venue de l’Antéchrist et des forces du Mal qui vont s’affronter aux forces du Bien dans la gigantesque bataille d’Armageddon », rappelle Jean-Marie Abgrall. Le Bien triomphe, permettant la résurrection du Christ ressuscité et 1000 ans de bonheur. Puis Satan se libère, séduit Gog et Magog – les nations païennes – avant d’être définitivement mis hors d’état de nuire. S’ensuit le Jugement Dernier, les uns disparaissant dans « l’océan de feu et de souffre », les autres rejoignant le royaume de Dieu.

 

Lancés dans le long combat entre le Bien et le Mal, les mouvements eschatologiques utilisent tous le même mode opératoire : prédire le pire pour emporter l’adhésion. Puis faire miroiter une issue de secours, le salut rédempteur. C’est le cas des sectes millénaristes qui attendent la venue et le royaume du Christ. Les groupes apocalyptiques guettent la fin imminente des temps, alors que les tenants du « cataclysmisme » professent un délabrement de l’équilibre entre la Terre et le cosmos. Enfin, les défenseurs de « l’Apocalypse gnostique », tels les adeptes de l’Ordre du Temple Solaire, convaincus que la Terre ne peut être sauvée, souhaitent accéder à des mondes supérieurs. Bref, tous veulent changer d’air… Avec leurs propres armes. Certains disposent de véritables arsenaux, tels les Davidiens de Waco, au Texas, qui résistent aux agents du FBI en avril 1993 : 88 adeptes trouvent la mort, filmée en direct. Au Japon, le 20 mars 1995, les « kamikazes » de Aum Sihinrikyo planifient une véritable opération terroriste en lâchant du gaz sarin dans les couloirs du métro de Tokyo : 11 morts, des milliers de blessés.

 

Mais la plupart du temps, les adeptes retournent leurs armes contre eux : le 18 novembre 1978 au Guyana, 923 membres de la secte du Temple du Peuple s’empoisonnement pour échapper à un complot international pré-apocalyptique. Les 4 et 5 octobre 1994, l’Ordre du Temple Solaire frappe en Suisse et au Canada : devançant l’Apocalypse, les adeptes s’immolent et s’envolent pour Sirius. Autant d’exemples morbides de suicides collectifs où les hommes n’ont pas attendu la fin du monde…

 

L’enfer sur Terre

 

L’Apocalypse ? Les Témoins de Jéhovah n’en parlent pas. Dans leur Bible, ils utilisent le terme « Révélation », traduction du grec apocalupsis. Ils ne croient pas à la destruction de l’humanité, mais en « l’achèvement du systèmes des choses ». Le concept mérite une explication, ailleurs que sur les étals des marchés. Rendez-vous est pris au « Béthel » de Louviers, dans l’Eure, le centre national des Témoins de Jéhovah.

 

Immaculée, la réception du centre ressemble à l’antre de « Monsieur Propre ». En quelques pas, l’histoire défile dans les vitrines du hall : les pyjamas rayés, frappés du triangle violet, des déportés du nazisme, et une maquette du Temple de Salomon attirent l’œil, jusqu’à la reproduction de l’Arche de Noé et son cortège d’animaux. Le Déluge en carton-pâte…

 



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« Nous avons été classés parmi les sectes apocalyptiques. Cela révèle une grande inculture biblique et une méconnaissance de ce que sont les Témoins de Jéhovah ! », s’insurge d’emblée Guy Canonici, responsable du bureau d’information. Bible à l’appui, il déroule son argumentaire : « Nous ne croyons pas en la fin du monde, mais nous pensons que le système de choses actuel, c’est-à-dire le monde tel qu’il existe, prendra fin, à un moment donné. Et que le monde qui s’est éloigné de Dieu laissera place au règne de Dieu. »

 

Pas de cataclysme à l’horizon, les signes le montrent, le chaos est sur Terre : « Certes, le tsunami a une explication sismologique. Une éruption volcanique, un tremblement de terre aussi. Mais tout cela réuni dans une période également marquée par les guerres, les épidémies, les famines, le sida… N’est-ce pas autre chose que des éléments factuels ? » Les Témoins de Jéhovah y voient les « signes avant-coureurs » de la Grande Tribulation, au terme de laquelle, les « humbles » seront sauvés et 144.000 élus appelés à régner avec Christ dans les cieux.

 

Et que dire des échecs des quatre prédictions annonçant la fin du système en 1914, 1922, 1925 et 1975 ? Un faux procès, se défend-il : « Nous pensons que les événements qui ont marqué le monde depuis 1914 indiquent un changement dans le cours de l’Histoire et qu’ils ont un sens car ils sont liés au royaume de Dieu. Après, que certains Témoins de Jéhovah avaient cru aller au ciel plus rapidement… Mais je lis les textes de nos détracteurs, c’est de la littérature de mauvaise foi ! J’ai même appris récemment qu’on annonçait la fin du monde pour les années 2030 ! ».

 

2034 exactement, laissent entendre deux articles de La Tour de Garde du 15 décembre 2003, consacrés à la fin des temps, rapporte Bulles, le trimestriel de l’Adfi. D’un revers de manche, il balaie la cinquième apocalypse, « une extrapolation de nos adversaires ». L’entretien touche à sa fin. Notre prévenant interlocuteur nous donne les derniers numéros de La Tour de Garde et de Réveillez-vous (30 millions d’exemplaires imprimés tous les dix jours, en 150 langues !). Sur la couverture du premier, un dossier sur le combat entre le Bien et le Mal. Sur la seconde, cette question : « A quand la prochaine épidémie mondiale ? » Il est des signes qui ne trompent pas…

 

La fin du monde fait recettes

 

Un demi-milliard de chrétiens croient en l’Armageddon et se préparent à l’Apocalypse. Ce sont les Evangéliques. Apparue il y a un siècle, cette doctrine, ratissant dans les nombreuses églises  néo-protestantes, professe une stricte application des Evangiles et prône le « réveil » des chrétiens endormis.

 


 

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S’ils essaiment un peu partout dans le monde, les Evangéliques se concentrent surtout aux Etats-Unis et au Brésil. Ils ont l’oreille des puissants, dont celles de George W. Bush, proche du pasteur Pat Robertson, fondateur de la Christian Coalition et ex-star de la chaîne évangélique The Family Channel. Selon un sondage de CNN en juin 2002, 59 % des Américains croient que la Bible annonce bel et bien la fin du monde. Et, pour 17 % d’entre eux, qu’elle se produira de leur vivant !

 

En attendant, l’Apocalypse fait recette : en 1995, le best-seller de Tim Lahaye, prêcheur retraité, et du romancier Jeremy Jenkins, The Left Behind a ouvert la voie des « thrillers religieux », sortes de prophéties bibliques actualisées et adaptées aux peurs du moment. Avec ses onze tomes, plus une version illustrée pour les enfants, la série a déjà été vendue à plus de 50 millions d’exemplaires. Du coup, Hollywood s’est rué sur le filon : Deep Impact, Armageddon, Le Jour d’après… La liste des blockbusters surfant sur les cataclysmes ne cesse de s’allonger.

 

Les « divins célibataires » de Brahma Kumari

 

Dans la famille New Age, il y a le grand frère yogi, Brahma Kumari. Situé dans une jolie cour intérieure du 10e arrondissement de Paris, le siège social de cette école spirituelle respire la zen attitude. Un minuscule ashram coincé en pleine jungle urbaine.

 

Né en Inde, les « divins célibataires » - ils professent l’abstinence -, prônent la pratique du Raja Yoga, ou yoga spirituel. Ces yogis ne font pas de postures, uniquement de la méditation. « C’est le yoga royal, le plus élevé, une discipline dont le but est que l’on devienne souverain de soi », décrypte François, membre du centre parisien. Royal donc et religieux. Car ce mouvement pioche dans le Bhagavad Gîta, le poème sacré hindou, et en extrait la croyance en Shiva. Ils ne parlent pas d’Armageddon, mais de « Kali Yuga », l’âge de fer du quadri-cycle cosmique hindou. Le temps des ténèbres, « de l’usure de la matière que nous sommes, du nucléaire, de la pollution… L’homme se détruira lui-même », résume le yogi. En 1936, leur maître Brahma Baba a d’ailleurs eu « la vision de l’atome, ce champignon de fumée détruisant puis amenant un nouveau monde ». « Mais nous pensons que l’homme peut changer les choses », rassure-t-il. C’est là tout le paradoxe de cette « université spirituelle ».

 

Les Brahma Kumari prétendent n’avoir rien à cacher, surtout pas leurs salles de méditation. « Vous n’y verrez personne en position du lotus », rigole notre interlocuteur. Derrière la première porte, un maître au regard pénétrant fait la leçon à trois disciples… En position du lotus.

 



IV – Les monothéismes face à la fin des temps

 

Les juifs attendent la venue du Messie, les chrétiens le retour du Christ, les musulmans l’anéantissement avant… le Jugement Dernier.



 

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L’histoire du peuple juif est traversée par les catastrophes et les exils, mais aussi par l’espérance du Messie, annoncée dès les prophètes Isaïe et Ezéchiel. La littérature de la « fin des temps » est plus tardive. Elle naît au IIe siècle avant notre ère, dans cette époque troublée de la résistance des Macchabées à la brutale dynastie des Séleucides. Dans les milieux pieux du judaïsme, cette lutte inégale suscite une théologie apocalyptique, lié à l’attente d’une catastrophe cosmique terminale, suivie de l’avènement du Royaume de Dieu, de « cieux nouveaux » et d’une « terre nouvelle ».

 

Cette littérature apocalyptique se développe surtout dans le livre de Daniel, sous la forme de prédictions, de testaments, de visions et de songes. Les temps de détresse seront suivis des « derniers temps » après lesquels Israël sera sauvé. Les morts qui ont dormi dans le « pays de la poussière » s’éveilleront. Ils reviendront à la vie dans leur pleine humanité, dans cette existence d’ici-bas, mais qui, dès lors, durera éternellement : pour les sages, sous la forme de la lumière, pour les autres, sous celle du châtiment.

 


 

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« Et les gens intelligents rayonneront de splendeur comme la voûte céleste. Après avoir montré aux autres comment être fidèles, ils brilleront pour toujours comme des étoiles à tout jamais » (Daniel 12, 3). La vie nouvelle avec Dieu avait été pressentie et souhaitée depuis longtemps. Mais c’est à l’époque de Daniel qu’apparaît ainsi, pour la première fois aussi nettement, la foi en la résurrection. Les cercles apocalyptiques d’Israël sont convaincus que le seul dont on puisse encore attendre une aide sera un envoyé direct de Dieu, venu du ciel, un sauveur préexistant, comme caché auprès de Dieu.

 

Depuis, cette question de la « fin des temps » - qui n’est pas équivalente, dans le judaïsme, à la fin ou la destruction du monde, mais à la venue du Messie – se pose avec acuité chez les juifs religieux, en particulier ultra-orthodoxes et hassidiques. Pour connaître la date de cet événement, ils utilisent tous les moyens de calcul et de divination possibles. Une question de jours, de semaines, d’années ? La fin du Livre de Daniel ne le dit pas. Le moment est connu de Dieu seul. Aux hommes, il appartient de s’y préparer en se purifiant et en restant fermement attaché à la Loi.

 

C’est ce que disent les auteurs les plus classiques et ce que répètent chaque jour les juifs religieux dans leurs prières, comme celle de l’Amida dans laquelle le fidèle demande à Dieu de « pouvoir être libéré et résider à Sion ». Cette attente de la « fin des temps » est présente aussi bien chez un penseur traditionnel comme Maïmonide (qui y consacre trois chapitres de sa Michne Torah) que chez le rabbi des Loubavitch, Menahen Schneerson, décédé en 1996, qui insistait sur l’imminence de cet événement et demandait à ses fidèles de rester prêts à chaque instant par la prière et par l’étude.

 

Le « Millenium »

 

Du côté du christianisme, la « fin des temps » ne fait pas partie, à proprement parler, du discours officiel des Eglises. Celles-ci enseignent que si la première venue du Christ a inauguré des temps nouveaux, elle ne représente pas encore la plénitude de la Révélation du Royaume de Dieu. Les chrétiens attendent donc, eux aussi dans l’espérance et la vigilance, le « retour glorieux » de Jésus-Christ à la fin des temps appelé parousie, transcription d’un terme grec qui signifie avènement ou manifestation (épiphania, apocalypsis). Des mots qui apparaissent dans les Evangiles, au terme de la vie de Jésus, comme l’épilogue de sa prédication (Matthieu 24-25, Marc 13, Luc 2).


 

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Ce retour du Christ sera son jour, « le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu » (Epître de Paul aux Romains : 2-5), le jour du jugement dernier, du salut définitif, de l’entrée dans la gloire et la contemplation de Dieu – formulation de la théologie moderne pour parler du Paradis -, ou le jour de la condamnation. Pour les Justes sauvés, c’est le début d’une « vie éternelle » et, pour les réprouvés, la condamnation à un « supplice éternel » (Mathieu, 25, 46).

 

Mais, avant ce jugement final, a eu lieu la résurrection de tous les morts, des « justes et des pécheurs » (Actes des apôtres, 24). Ceux qui gisent dans la tombe en sortent à l’appel de Jésus-Christ. Le Christ descend dans sa gloire, escorté de tous les anges. Devant lui, sont rassemblées toutes les nations. Ceux qui auront fait le bien ressusciteront pour la vie, ceux qui auront fait le mal ressusciteront pour la damnation (Jean 5-28, 29).

 

Le récit de l’Apocalypse, dans le Nouveau Testament, décrit cette succession d’âges du monde qui précèdent le jugement universel et cet âge ultime du salut ou de la damnation. Mais il est dangereusement instrumentalisé aujourd’hui par les milieux fondamentalistes, évangéliques et sectaires qui spéculent, avec fébrilité et effroi, sur la fin du monde, sur le moment où elle surgira et ses manifestations.

 

Ils retiennent de ce récit de l’Apocalypse qu’il prophétise « mille années de captivité pour Satan, suivies de mille années de règne terrestre du Christ » (Ap, 20). Ce nouvel avènement du Christ – le fameux Millenium – obsède les milieux protestants « pré-millénaristes ». Pour eux, le retour du Christ est promis en premier lieu au peuple juif, élu de Dieu depuis Abraham et Moïse. Le peuple juif n’a pas reconnu le Christ comme Messie lors de sa première venue, il y a 2000 ans, mais la promesse de Dieu n’est pas pour autant caduque. Ce thème du « rétablissement d’Israël » est l’un des plus constants dans les bastions évangéliques américains et il a donné naissance à un sionisme chrétien qui, jusqu’à Jérusalem, est aujourd’hui en pleine expansion.

 

L’ « anéantissement » musulman

 

Dans l’islam, la « fin des temps » obéit à un scénario très imagé et bien connu de tous les fidèles musulmans. Le récit coranique de la fin du monde a une valeur mythique, tant il est présent dans de nombreuses sourates. Elle est annoncée par de grands signes précurseurs : séismes, éruptions de volcan, catastrophes naturelles. Le ciel s’ouvre, les planètes se dispersent, les mers se soulèvent, les montagnes s’envolent, ainsi que le décrit la sourate de l’Eclairé.

 

Ce schéma apocalyptique se décompose en trois temps.

 

● Anéantissement : le jour où « trembleront les tremblements », l’ange Israfil soufflera dans sa trompe et toutes les créatures subiront l’anéantissement (fana). Il ne restera que Dieu dans sa toute puissance.

 

● Résurrection : Un autre jour retentira à nouveau la trompette d’Israfil, annonçant cette fois la résurrection (qiyama) de tous ceux qui sont morts depuis Adam et ont péri dans le fana général. C’est le jour que commente ainsi la sourate 50, versets 41-41 : « Prête l’oreille : au jour où le Convocateur lancera son appel d’un lieu proche ; au jour où ils entendront une clameur dans le Vrai, alors sera le jour de la sortie des tombes. »

 

● Jugement dernier : Dieu rassemblera tous les hommes, les anges, les djinns, les démons et même les animaux sauvages, les chameaux, les chevaux et les ânes. Le premier qui arrivera à ce rassemblement (hashr) sera Mahomet, puis viendront les prophètes, les anges et les justes, suivis de toutes les autres créatures. Ce sera un grand moment d’attente, de station (mawqif), l’heure du Jugement dernier, qui enverra les uns au paradis et les autres en enfer.

 

 

V – La fin de ce monde dans les religions indiennes

 

Pas question de fin du monde, mais plutôt de « fin d’un monde », de la disparition d’une manifestation touchée, comme tout ce qui existe, par l’éphémère.

 


 

La roue de la vie Samasara

 

 

Transportons-nous mentalement aux alentours du XXVe siècle. A l’issue d’un terrible conflit, l’humanité est presque réduite à néant. Les hommes survivant à cette effroyable guerre sont comme des animaux, terrés dans des abris sommaires, incapables de toute pensée spirituelle. La fin du monde ? Non, juste un avant-goût de la fin de notre monde. Tel est le scénario prophétique annoncé par l’enseignement du Kalachakra, ou la Roue du Temps, attribué au Bouddha et largement diffusé au Tibet.

 

Contrairement aux trois grandes religions monothéistes, les grandes spiritualités indiennes, l’hindouisme et le bouddhisme, proposent une lecture de l’écoulement du temps et de l’avenir du monde s’inscrivant dans un cadre relatif, sans vrai début, ni vraie fin. Ainsi, il n’existe pas de Création : le commencement du monde s’inscrit dans une conception large, continue, cyclique, fondée sur la croyance en l’existence de grandes ères cosmiques, les kalpa. De même, il n’existe pas un univers mais une multitude d’univers, chacun ayant son rythme propre ; à chaque instant, chacun des univers se trouve à une étape de son existence qui lui est spécifique.

 

La durée attribuée à un cycle varie d’une tradition à l’autre, mais elle est toujours extraordinaire, s’exprimant en millions de générations humaines. Il faut avoir recours à des métaphores ou à des images pour tenter de la concevoir. Un cycle complet, soit « un jour et une nuit du dieu Brahma », dure plus de temps qu’il faudrait à une pièce de soie de Bénarès pour éroder un rocher gigantesque jusqu’à la dernière poussière, en ne le touchant qu’une fois par siècle.

 

Cycle de dégénérescence

 

Selon la tradition védique, notamment dans le Vishnu Purana, un grand cycle se subdivise en 71 périodes, les mahâyuga, chacune divisée en quatre petits cycles, les yuga associés à des métaux (or, argent, cuivre et fer) eux-mêmes subdivisés en cycles plus courts. Ces cycles rythment l’apparition de l’univers puis sa dégénérescence. Il n’est jamais question d’une Apocalypse, dans le sens populaire d’une fin du monde ; il s’agit en fait de la « fin d’un monde », la disparition d’une manifestation touchée, comme tout ce qui existe, par l’éphémère.

 

Hindouisme et bouddhisme se rejoignent encore pour affirmer que nous sommes aujourd’hui dans un cycle de dégénérescence. Le Vishnu Purana, qui fut vraisemblablement rédigé vers le IVe siècle, souligne de façon prophétique qu’en ce temps de déclin « la seule loi sera celle du riche » et que « la violence, la tromperie et l’immoralité » seront la règle commune. Autres signes de cette décrépitude du monde, « les femmes seront réduites à un objet sexuel » et « les anciens essayeront de se comporter comme des jeunes, et les jeunes perdront la candeur de la jeunesse ».



         BoschEnfer                Déesse Kâli

 


Le Kalachakra évoque lui aussi ce temps dégénéré. Dans le prolongement de ce que disait la tradition indienne, il annonce l’émergence puis l’expansion d’une religion spirituellement aliénante et la perversion des valeurs. Les forces du Bien, rassemblées dans le royaume invisible au commun de Shambala, auront à lutter contre les armées du Mal qui régneront déjà sur la moitié du monde. La paix établie, la Terre retrouvera la concorde mais ce ne sera qu’une rémission avant une nouvelle dégradation.
 

La chute s’apparente, en effet, à une lente mais irrésistible désescalade, faite de hauts et de bas. A terme, le temps du chaos arrivera et de ce chaos émergera un nouvel univers par un processus assimilable à une condensation de plus en plus grande de ses éléments constitutifs : l’air, le feu, l’eau, la terre…

 

Pour les traditions spirituelles indiennes, au fil des étapes du cycle, la durée de la vie humaine diminue, passant de plusieurs dizaines de milliers d’années à une dizaine d’années seulement avant la plongée dans le chaos. De même, la taille des êtres humains diminue de façon significative pour atteindre une trentaine de centimètres. Dans la période de dégénérescence que nous connaissons, la durée de vie est de 100 ans.

 

Logique fataliste

 

Une lecture philosophique permet de considérer cette perception de l’écoulement du temps d’une façon plus large. Les âges d’or se caractérisent par la spiritualité, la douceur, la longévité, l’harmonie alors que les périodes de dégénérescence se distinguent par la confusion voire l’inversion des valeurs fondamentales du Bien et du Mal, de l’utile et du nuisible. En bref, les époques de croissance correspondent à un espace extérieur et intérieur ouvert ; à l’inverse, lors des époques de décadence, la réduction physique, mentale et spirituelle augmente à mesure que le matérialisme s’accroît. La « fin du monde » est par conséquent l’aboutissement d’un processus d’étouffement du monde, dernière étape d’un repli complet sur lui-même.

 



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La diminution de la taille renvoie à une réduction de l’espace et celle de l’âge à un rétrécissement du temps. L’époque contemporaine correspond à ces données. Notre espace se réduit, d’une part car nos moyens techniques permettent de le maîtriser, d’autre part car l’occupation humaine de la Terre ne cesse de s’amplifier. Si la durée de la vie, quant à elle, ne cesse de s’allonger contrairement à ce qui apparaît dans les traditions bouddhistes ou hindouistes, la qualité du temps vécu diminue. Aux sociétés traditionnelles qui rythmaient le temps en générations, en saisons, les sociétés modernes opposent un temps sectionné, cloisonné, où l’unité n’est plus une vie mais la seconde. L’humanité moderne perd donc de la distance avec le monde, elle perd le recul donné par le rythme lent de la vie où l’homme « a le temps ».

 

L’inversion des valeurs suit cette même logique. Le cycle de dégénérescence que nous traversons conduira l’homme à perdre la spiritualité, du moins à s’éloigner d’une spiritualité libératrice. Au contraire, les croyances « mondaines », celles qui laissent libre cours à l’attachement et au désir, ne cesseront de se développer. La perception du Bien connaîtra une dérive animée par un repli sur soi conduisant des personnes ou des sociétés à s’autoproclamer seuls détenteurs du Bien ; le Mal se banalisera au point qu’il ne sera plus distingué du Bien, d’autant moins que la confusion se sera instillée au fil des générations.

 

S’il apparaît un fatalisme certain dans cette logique cyclique, puisque notre univers est irrémédiablement frappé par la destruction, l’intérêt spirituel ne doit pas être négligé. La dégénérescence et le chaos découlent d’une prise en main du monde par l’homme aux seules fins de satisfaire son désir de domination. Après les périodes fastes où l’esprit était au centre de l’existence, notre âge est celui où l’homme est au centre de ses préoccupations, il se perçoit comme la pierre angulaire du monde, le sommet d’une pyramide charpentée par l’égocentrisme. Il en oublie la base, ne perçoit plus qu’il n’est qu’une partie d’un Tout régi par des lois qui le dépassent, puisqu’au-delà de sa perception de l’espace et du temps.


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