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26 février 2010 5 26 /02 /février /2010 15:37

L’atome est-il divisible à l’infini

 

 

Coup de tonnerre dans le ciel de la physique. On croyait que le quark était l’ultime particule, or, d’après une expérience américaine, il serait lui-même constitué de « sous-quarks ». Le modèle standard de la physique fondamentale tremble sur ses bases !

 

 

 Collision de particules-v1

 

 

Les quarks sont des corpuscules que les physiciens considéraient, il y a seulement quelques semaines, comme les ultimes et indivisibles constituants de la matière. En fait, ils ne seraient pas si élémentaires que ça : telle est l’excitante conclusion d’une expérience conduite dans l’accélérateur géant Tevatron du laboratoire Fermi, près de Chicago, et rapportée par l’hebdomadaire spécialisé américain Science dans son numéro du 9 février. Moins d’un an après la découverte, dans ce même « Fermilab », du sixième et dernier quark – le « top » -, qui mettait magnifiquement un terme au tableau des particules élémentaires, l’édifice semble s’écrouler. La quête de l’élémentarité repartirait de plus belle vers le toujours plus petit…

 

De Démocrite à Rutherford

 

Le conditionnel s’impose, car l’existence de « sous-quarks » n’est encore que l’une des hypothèses proposées pour expliquer d’étranges anomalies dans le résultat de l’expérience CDF (Collider Detector at Fermilab). Mais l’hypothèse émoustille déjà les physiciens des particules, un peu las des succès répétés et sans surprise du trop fameux Modèle standard, l’édifice théorique qui décrit les particules et les forces élémentaires de la matière. « Enfin il se passe quelque chose ! Un événement imprévu va ébranler cette forteresse théorique », pensent tous les physiciens.

 

La nature semblait donner raison à la superbe intuition du philosophe grec Démocrite (460-370 avant notre ère), qui, le premier, imagina que toute la matière était composée d’atomes insécables (le mot atome signifie en grec « qu’on ne peut couper »), assemblées de diverses manières, au moyen de « crochets », pour former l’infinie variété de tous les objets qui nous entourent. Il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour voir se confirmer la réalité des atomes, ultimes constituants de la centaine d’éléments chimiques qui composent la table de Mendeleïev (de l’hydrogène à l’uranium, en passant par le carbone, le fer ou l’or).

 

 

 

 525px-Quark structure proton                        Les quarks-v1

 

 

Mais il a suffi de quelques années pour que les progrès de la physique détruisent le mythe non pas de l’atome mais de son caractère insécable. C’est d’abord, en 1897, la découverte de l’électron, premier corpuscule subatomique. Puis, en 1911, le prix Nobel de chimie britannique Ernest Rutherford élucide la structure de l’atome. Son expérience, célèbre et magistrale, vaut d’être racontée, car c’est l’ancêtre de bien des expériences de physique des particules, y compris, peut-être, de celle du Fermilab…

 

Pour sonder les atomes, Rutherford a eu en effet l’idée de bombarder une mince feuille d’or avec des particules α émises par du radium. Il remarque que, si a plupart des particules α sont faiblement déviées en traversant la feuille, une minorité d’entre elles subissent au contraire une forte déviation et parfois même bondissent en arrière, comme si elles avaient heurté quelque chose de dur… Rutherford comprend que les atomes qui constituent la feuille d’or ont une structure très peu homogène : ils sont formés d’un noyau central, petit, très massif et de charge électrique positive, autour duquel gravitent des électrons, légers et négatifs – si bien que le volume des atomes est en réalité essentiellement du vide !

 

Vingt ans plus tard, les physiciens dévoilaient la structure du noyau atomique : il est constitué de deux sortes de particules, les protons (positifs) et les neutrons (neutres).

 

Des gerbes de hadrons

 

C’est seulement dans les années 60 que sera franchi le pas suivant sur le chemin de l’élémentarité. En bombardant des particules cibles avec des particules projectiles dans des accélérateurs, les scientifiques se trouvent confrontés à toute une ménagerie d’étranges particules issues de ces réactions, la plupart d’entre elles appartenant à la même famille que les protons et les neutrons (la famille des hadrons). La situation s’éclaircit beaucoup quand les théoriciens américains Murray Gell-Mann et George Zweig suggèrent que les hadrons ne sont pas élémentaires, mais qu’ils sont formés de sous-particules, qu’ils baptisent quarks (d’après le nom de personnages du romancier irlandais James Joyce). Avec seulement trois sortes de quarks (« u », « d » et « s »), on peut reconstituer le proton, le neutron et tous les autres hadrons connus à l’époque. Plus tard, trois autres quarks, « c », « b » et « t », viendront compléter le tableau.

 

Pourtant, cette construction séduisante avait un défaut majeur : il était impossible d’isoler les quarks. A défaut de les extirper de leur hadron, ce qui est en réalité impossible (à cause d’une propriété qui leur est spécifique, le « confinement »), on réussit quand même à les détecter à l’intérieur même des protons, en 1967, dans l’accélérateur linéaire de Standford (Californie). Depuis, les physiciens ont édifié une théorie décrivant la « force forte », qui lie les quarks à l’intérieur des hadrons par l’intermédiaire de particules nommées gluons (parce qu’ils « collent » les quarks entre eux).

 

 na-2004-166 9503044 02

 

 

Plus de vingt ans après, au Fermilab, des protons et des antiprotons tournent en sens contraire à une vitesse très proche de celle de la lumière, pour se heurter dans des collisions qui libèrent une énergie de 1,8 Tev (1800 milliards d’électronvolts), d’où le nom de Tevatron donné à cet accélérateur, aujourd’hui le plus puissant du monde. A ces énergies colossales, « chaque proton peut être considéré comme un petit faisceau de quarks et de gluons », explique John Ellis, théoricien au CERN (le laboratoire européen de physique des particules, près de Genève). Et il en va de même pour chaque antiproton, ce qui donne des collisions plutôt compliquées entre quarks, antiquarks, gluons et antigluons ! L’énergie libérée dans ces chocs se rematérialise immédiatement en toutes sortes de particules, surtout en quarks (et en anti-quarks) qui, ne pouvant vivre seuls, engendrent des gerbes de hadrons, des « jets » dans le jargon des physiciens.

 

Or, depuis plusieurs mois, l’expérience CDF met en lumière « un nombre étonnamment élevé de collisions violentes entre quarks ». Plus précisément, il y a une proportion anormalement forte de jets très énergétiques concentrés dans des angles très étroits. « C’est précisément le genre d’effet qu’on observerait si les quarks étaient non pas des particules fondamentales mais possédaient une structure interne », commente, dans Science, le porte-parole de l’expérience, William Carithers.

 

L’expérience serait alors un remake de celle de Rutherford : les chocs violents révéleraient des interactions entre sous-quarks à l’intérieur des quarks, tout comme les particules α très déviées témoignaient de l’existence du noyau atomique.

 

 

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En fait, si les physiciens de l’expérience CDF affirment clairement qu’il y a bien un excès de collisions violentes au Tevatron, il est encore trop tôt pour en déduire l’existence révolutionnaire des sous-quarks. Le texte de présentation de Science est prometteur, mais l’article proprement scientifique est beaucoup plus prudent. Car, à en croire John Ellis, il existe plusieurs autres explications, moins fantastiques mais plus probables. Il faut d’abord reconsidérer le Modèle standard, et chercher à savoir si l’on n’a pas oublié, ou sous-estimer, certains effets qui expliqueraient les anomalies.

 

Il pourrait également exister une particule lourde jusqu’alors inconnue (un « cousin » du boson faible Z°, la particule qui véhicule la force dite faible). La désintégration de cette particule serait responsable du taux apparemment élevé d’interactions à haute énergie. L’existence d’une telle particule pourrait en outre justifier d’autres petites anomalies, observées cette fois dans une expérience du CERN. Et elle n’exigerait que de légères modifications du Modèle standard.

 

C’est seulement si ces explications « banales » sont rejetées qu’on pourra envisager sérieusement des hypothèses plus spéculatives, telle que la « non-élémentarité » des quarks. Ces précautions feraient croire que les physiciens sont d’incorrigibles conservateurs, accrochés à leur cher Modèle standard. En réalité, ils ne sont pas dupes. Ils savent bien que le fameux Modèle n’est pas « la » théorie définitive de la physique des particules et des forces, ne serait-ce que parce qu’il n’inclut pas la gravitation et n’explique pas, par exemple, les masses et les charges des particules.

 

Cependant, aucune loi physique  n’interdit que les quarks possèdent une étendue et une structure interne. Alors se posent les inévitables questions (méta ?) physiques. Cette course s’arrêtera-t-elle un jour ? Trouvera-t-on des particules vraiment élémentaires, ou la matière se subdivise-t-elle à l’infini ? La réponse des physiciens est à la fois pragmatique et vertigineuse. Aujourd’hui, les énergies délivrées par le Tevatron permettent d’explorer la matière jusqu’à l’échelle de 10-17 cm. Mais plus l’énergie augmente, plus on progresse vers les petites dimensions. Jusqu’où ?

 

D’autre part, lorsqu’on cherche à unifier les théories quantiques régissant le monde des particules et la relativité générale d’Einstein, qui décrit la gravitation à l’échelle de l’Univers, les calculs donnent une dimension (10-33 cm) où toutes les forces se rejoignent. S’il y a une taille minimale, c’est peut-être celle-là, ce qui laisse une certaine marge…

 

 

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